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3 juin 2013 1 03 /06 /juin /2013 18:14
Chapitre 3
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
L’HOMME AUX YEUX USES
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Une douce quiétude nous berçait sur ce sable tiède, tiède était aussi l’ air ambiant et la fatigue nous garda endormis une bonne partie de la matinée; tandis que les gens d’ici s’affairaient bruyamment à leurs occupations de pêcheurs. Un délicat fumé de poisson grillé et d ’herbes aromatiques eut raison de ma torpeur. Une faim de loup  me taquinait depuis un moment déjà, mais la paresse me maintenait à demi endormi. M’ étirant à m’ en déchirer les muscles du dos et des pectoraux, je vis que Kaolin était parti se dégourdir les jambes. Un vieil homme buriné et hâlé se tenait assis sur une souche et souriait en me dévisageant.
 
---Tu es l’ étranger venu de nulle part, choisi par nos peuples pour ramener la Sérénité parmis nous?
 
 
---Comment le sais -tu?
 
---Ne me questionne pas sur ces choses, je ne te demanderai jamais d’ où tu viens ni où tu vas, mais sache qu’une si bonne nouvelle réjouis nos cœurs et coure au travers des airs  comme l’ oiseau migrateur, de collines en collines, de montagnes en montagnes, au fil de l’ eau des torrents impétueux comme au fil de l’ onde limpide et calme des rivières.
 
Je compris que le vieil homme aux yeux usés, et celui là les avait très usés, venait au devant de moi comme l’ avait prédit le Chaman.
 
---Tu es l’ homme annoncé par le Chaman ?
 
---C’est toi l’ homme annoncé! C’est toi que nous attendons depuis les lunaisons qui nous séparent du grand massacre de notre race, il a fort longtemps.
 
---Le grand massacre?
 
---Les géants, les géants sans esprits, Hollysbrouck t’ a parlé des géants?
 
---Oui, il m’ a demandé de les tuer tous!
 
---Il y a fort longtemps, au temps des pères des pères de nos pères, nos peuples vivaient en paix de la chasse et de la pêche, de la cueillette des fruits des forêts, tout était abondant sur cette terre. Un printemps, alors que chacun commençait à migrer pour la campagne de chasse, les géants s’étaient réunis par petits groupes sur les sentiers, un peu partout sur le territoire et attaquèrent les clans. Des familles entières furent décimées. Ce n’ est pas tout, ils s’en prirent aux animaux des prairies et les dévorèrent sur place. Les malheureux qui survécurent durent se réfugier dans les montagnes et subsister tant bien que mal, certains se perdirent et ne revinrent jamais à leurs villages. Ceux qui restaient furent si peu nombreux, qu’il fallut reconstituer des clans, de nombreux villages furent abandonnés. Les malheureux abandonnèrent pour plusieurs lunaisons les campagnes de chasse faute de gibier. La subsistance s’ organisa autour des villages avec ce qui restait d’ animaux qu’il fallut protéger pour en reconstituer les troupeaux. Même la mer fut dévastée et vidée de ses poissons.
 
Je me souvint que la bible mentionnait une race de géants qui faisaient grand mal aux hommes, et que le déluge éradiqua une bonne fois pour toute, mais je ne pensait pas que cela fut une réalité, je croyais naïvement que c’ était une forme imagée à interpréter parmi tant d ’autres!
 
Le vieil homme aux yeux usés continua:
 
---Et comme cela ne suffisait pas, les esprits se déchaînèrent et d’ immenses incendies dévorèrent les bois et les collines. Depuis, les géants sans esprits, sans doute affamés et décimés à leur tour par les flammes devinrent moins nombreux. De temps à autre, ils se manifestent, leur population aussi se reconstitue et il apparaît depuis quelques lunaisons une recrudescence d’ attaques de villages et c’est toi qui à été choisi par le Grand Esprit et envoyé au Soulvègue pour y chercher la Sérénité parmi les bœufs laineux qui paissent dans les gras pâturages de ces contrées choisies des Esprits de la grande voûte céleste.
 
--- Comment reconnaîtrai-je cette Sérénité parmi les bœufs laineux?
 
---Les esprits sauront et te la transmettront, jamais personne n’ y est allé, ceux qui ont essayé ne sont jamais revenus. Toi seul y parviendra et en reviendra car tu es le seul à être choisi: tu es le Choisi.
 
Voilà donc le titre dont le Grand Esprit de la Voûte Céleste m’ a affublé!
 
Le Vieil Homme aux Yeux Usés appela un groupe de personnes qui attendaient sur la plage. Ceux-ci, sans se faire prier et sans ordres particuliers apportèrent des plats de poissons grillés aux herbes aromatiques, ce qui me fit le plus grand bien. La fatigue du voyage et      l’étrange destin qui m’ attendait avaient aiguisés mon appétit.
 
Kaolin n’ était toujours pas de retour, et je m’ aperçus qu’il avait emporté ses affaires. Au autre vieillard, qui semblait l’ assistant du premier, vint me rejoindre et me voyant inquiet sur le sort de mon jeune compagnon, me rassura en me racontant que ce jeune était envoyé sous bonne escorte au village de pierres derrières les dunes, et qu’il ne devait pas                 m’accompagner au Soulvègue de peur de soulever la colères des Esprits; seul le Choisi doit accomplir cette mission. Ensuite on m’ ôta mes chevaux pour les conduire à ce même village, m’ assurant qu’ils seront eux aussi bien traités en attendant mon retour.
 
J’ étais inquiet pour Kaolin. N’ allait-ils pas le reconduire au Chaman?  Je n’ osais en parler de peur d’ éveiller les soupçons si ils ignoraient intentions d’Hollyskrouck. Après mainte et maintes détours pour amener la question, on fini par m’ assurer que lui aussi attendrait mon retour.       J’appris bien plus tard, que peu confiant en l’ avenir ici, il se réfugia dans la forêt de pins toute proche et y attendit mon retour.
 
Sans instructions nouvelles, et n’ ayant plus revus le Vieil Homme aux Yeux Usés, mes journées se passèrent à flâner sur la plage, entre les pêcheurs qui n’ avaient qu’ à se baisser pour ramasser le poisson dans leurs filets. Toujours, de délicieux repas de poissons grillés agrémentés -montraient une déférence particulière à mon égard, et certains enviaient le fabuleux destin qui m’ était promis. J’ aurai volontiers proposé ma place, mais j’ avais compris d’après les propos du Vieil Homme, que       c’était moi le Choisi!
 
Au début d’un bel après midi, sous le bleu azuréen d’ un ciel gorgé de tiédeurs, le Vieil Homme aux Yeux Usés vint me chercher et m’entraîna du côté des sècheries à poissons.
 
---Demain sera le jour où le soleil passera près de la porte du royaume du Grand Esprit de la Voûte Céleste, si près qu’il l’ effleurera de son feu ardant. Ce jour est celui où tu doit partir pour les Grandes Prairies aux Herbes Grasses du Soulvègue, là où pais le bœuf laineux gardien de la Sérénité.
 
Moi qui voyais s’écouler les jours dans un doux havre de douceurs en rêvant doucement à Chérubinella qui viendrait m’ y rejoindre, me voilà fixé! Je m’y attendais sans trop y croire, mais l’ Homme s’était adressé à moi avec tant de solennité que mes tripes se nouèrent et la pensée qu’il fallait y aller sinon on m’ y pousserait de force , me serra la gorge.
 
Le lendemain, comme prévu, très tôt, le vieil Homme vint me tirer de ma léthargie aux aurores. L’ embarcation m’ attendait. Derrière les rochers, trois troncs de pin, liés entre eux par un savant cordage mouillait, près à l’ embarquement. Une pagaie, une seule servirait de propulsion et de gouvernail. Pour tout bagage, un de mes sacs de peau était arrimé à l’ arrière. Devant moi, une immensité d’ eaux calmes, doucement balancée par une petite brise matinale à peine perceptible.
 
---Mes armes, sagaies, arcs, flèches…
 
---Ils ne te serviront à rien, en arrivant en vue du Soulvègue, un homme viendra au devant de ton embarcation et te donnera les consignes pour la suite de ton voyage.
 
---Je serai au Souvègue, une fois de l’ autre côté de la mer?
 
---Le Soulvègue est immense et la Grande Plaine Herbeuse est loin de la côte, il te faudra plusieurs lunaisons pour y accéder!
 
Me voilà fixer une fois pour toute, une lunaison, si j’ ai suivi les explications depuis le début, correspondrait à environ une année et demie de notre époque! Et il m’ en faudra plusieurs, plusieurs avec combien de « S » voilà qui est bien succint comme explication, et bien inquiétant aussi…
 
Déjà, quelques costauds arrivaient en rangs serrées. On m’ installa à califourchon sur le tronc du milieu, quelque’un me mit dans la main la paguaie et les autres poussaient le radeau à toute allure en direction de la haute mer. Tant qu’ils eurent pieds, ils poussèrent à toute vitesse, puis, je sentis partir les troncs d’arbres, comme propulsés par une force mystérieuse. Je n’ avais plus qu’à pagayer mollement et je filais, seul, sur l’ immensité des flots, droit devant moi. 
 
Au terme de cette première journée de mer, j’ avais beau me retourner pour la première fois, aucuns rivages ne se dessimaient derrière moi. Tout au long de cette course insensée, plusieurs fois, j’ ai pensé utiliser ma pagaie comme gouvernail et faire demi-tour ou virer à droite ou à gauche, mais j’ ai dû obéir  à un ordre mystérieux; le Vieil Homme avait martelé: droit devant toi…droit devant toi….droit…et j’ ai pagayé droit devant moi…
 
Le soir venait, la fraîcheur aussi. Je cherchais dans mon unique sac et Dieu merçi, ma veste de toile fourré que j’ avais quitté en arrivant dans le Sud, s’y trouvait! Quelle chance! Le Vieil Homme aux Yeux Usés n’ était pas si mauvais bougre que cela puisqu’il avait tout prévu, même un minimum de confort! Une galette de poisson sèché et une outre d’ eau douce furent les biens venu et je m’ éforçais d’ économiser les provisions puisque le voyage promettait d’être long.
 
Le someil aussi était au rendez-vous et personne n’ avait songé à m’ expliquer comment dormir sur cette étrange machine. Et si durant mon assoupissemnt je chageais de cape sans m’ en apercevoir?   Je m’ en remettais donc au hasard. Allongé sur le ventre, le front à même le tronc central, les mains solidement agrippées aux grumes larérales, je m’ endormis sans m’ en rendre compte. Une nuit sans rêves ni cauchemars, la fatigue, l’ air marin, eurent raison de moi, la hantise de ce qui m’arrivait, la peur de l’ inconnue, la tendre pensée de Cherubinella          n’avaient aucune prise sur mon conscient. J étais terrassé une fois de plus. Demain j’ accuserai le Chaman et le Vieil Homme aux Yeux Usés de m’ avoir jeté un sort, j’ étais possédé par la Force Mystèrieuse, j’ étais le Choisi! Mon sort désormais était celui d’ un Choisi!
 
Le lendemain arriva bien assez tôt, sans m’ en rendre compte, j’ avais dû me retourner pendant mon sommeil. J’étais sur le dos, les premiers rayons du soleil diffusaient une douce et surannée tiédeur, j’ étais bien, mais malgré que l’envie de me rendormir je ne puis fermer l’œil.
 
Les jours se succédèrent et se ressemblèrent. Toujours ce soleil qui me brûlait les yeux. L’esquif tenait bon, les cordages  de fibres de l’ assemblage demeuraient serrés comme au premier jour. Étonnement, je pagayais sans efforts et l’embarquation filait à bonne allure, comme si c’était elle qui se mouvait par une force mystérieuse. C’est vrais que depuis le premier matin, tout est mystère dans mon entourage! Et aucune terre à l’horizon, aucun des oiseaux du premier jour. Les eaux bleues azuréennes ondulaient à peine, j’ aurai dû normalement faire du sur place ou bien ramer fort, mais je filais toujours à la même allure comme si un puissant aimant m’ attirait de l’ autre côté de la mer. Décidément, cette « Sérénité » me torturait l’ esprit qui n’ était pas de ces fameux « Esprits » qui m’y conduiront! Quelle forme avait-elle, était-ce une plante, une chose ou un animal? Si c’est un bœuf laineux, comment le ramener? Enfin, je cessait de me poser ces questions qui ne demandaient aucunes réponses, puisque le Vieil Homme aux Yeux Usés l’ avait dit. Tout devrait donc se passer comme il le professait! Et puis la fatigue me pesait depuis deux bonnes heures, le ciel s’ obscurcissait, la chaleur devenait une touffeur moite. J’ opressais.
 
Le soit vint plus tôt que d’habitude, du moins il me sembla. Je m’ endormis je ne sais comment, sans m’ en apercevoir, sans lâcher la pagaie. C’est en nage que je me réveillais dans un monde étrange. Etrange et de plus en plus étrange. Mais qu’est-ce qui peux me surprendre dédormais!
 
Le ciel était bas comme au matin d’un bel automne, des buées bleutées montaient nonchalamment des eaux claires. Un halot de lumière rouge montait de toute part de l’ horizon. La mer semblait décolorée dans sa profondeur et je pouvait entrevoir un lointain relief chaotique sans aucune vie ni végétale ni animal, aucuns poissons. Cependant, un bruissement délicat provenait des troncs de mon radeau. A peine perceptible, une sorte de glace pilée dansait le long . J’ en recueillit dans le creux de ma main. La température de l’ eau était anormalement élevée; ce ne pouvait donc pas être de la glace, mais d’imperceptibles sphères de silice. Un microscope aurait été le bien venu, mais je me rappelais vaguement  que ce pouvait être des coccolites, carapace de plancton microscopique. Celles-ci, je parvenais à les distinguer à l’ œil nu! Chose impossible dans un monde normal, ou peut-être que mon subconcscient le permettait. Dans le monde réel, autrefois, au siècle où je suis né, je me souvient d’ avoir vu, de mes yeux vu, depuis la route, des choses placées derrière une maison, et que, intrigué, quelques temps plus tard, je repassais au même endroit pour m’en assurer; il  m’ étais devenu impossible, en toute logique, de revoir ce barbecue en briques réfractaires qui avait tant attiré mon attention précédemment. Plus rien, mais alors plus rien ne m’ étonnais aujourd’hui!
 
Enfin, après plusieurs jours qui me parurent une éternité, la côte apparut devant moi. Ce n’ était pas ce que j’ imaginais, rien à voir avec les plages dorées de l’ Afrique du Nord que j’ avais visité jadis. La chaleur suffoquante enserrait ce monde étrange. Toujours ce ciel sombre sans nuages, cette pénombre où seule cette lumière infrarouge venue de nulle part de derrière l’ horizon permettait de distinguer les choses. Devant moi se dressait une muraille de granit sombre, ébréchée par endroit en d’immense éboulis de rochers difformes. J’ accostait à cet endroit précis qui seul le permettait. Je quittais soulagé cet océan sans vie et sans poissons. J’entrais dans un monde minéral totalement inconnu. Où étaient donc ces poissons monstrueux et cet homme qui viendrait au devant de mon embarcation. Minuscule au milieu des roches noires,        j’appelais de toutes mes forces, mais rien n’ y fit, aucune réponse, aucun écho. J’ étais seul je ne sais où, pauvre « Choisi », sur une autre planète sans doute. J’ écoutais mon intuission, rien ne me disait de bon à rester ici. Je déliais avec peine les sangles de cuire de mon baluchon qui le retenait à l’ arrière de l’ embarcation. Mes pieds nus me brûlaient dans ces eaux sulfureuses et les doigts étaient usés par ces oolithes de silice. Je parvint non sans mal à fabriquer des bretelles et porter le sac sur le dos.  Il restait encore pas mal de victuailles, j’ avais peu consommé durant la traversée qui fut longue cependant, beaucoup plus longue qu’elle devait l’ être de nos jours, même avec un radeau identique.  Rien n’ était commun avec la logique.
 
J’ escaladais, ou plutôt je me faufilais entre les blocs de Granit de plusieurs milliers, voir millions de tonnes chacun. Pas de sable où poser le pied, que du rocher, que du granit sombre. Aucunes herbes non plus, pas de reptiles, pas d’insectes ni d’oiseaux dans le ciel. Je m’ élevais péniblement mètre par mètre dans une fournaise digne des enfers.           l’ estomac commençait à réclamer sa part de nourritue, mais je lui répondis que ce n’ était pas le moment. Il fallait fuir absolument cette zone lugubre et rejoindre le sommet de ce qui semblait être une montagne. Peut-être que derrière elle…
 
Le but approchait, enfin le sommet! Et c’est la fatigue qui me terrassa  sournoisement   d’un traître  sommeil . Je ne sais pas  combien de temps dura cette léthargie et ne le saurais jamais…il n’ y avait plus ni jour ni nuit sur cette terre sans soleil. Sans repères, je me remis en marche vers le sommet, résolut à me fier désormais à l’ estomac et au sommeil. Je crois bien que l’ ascension dura quatre jours; à contourner les blocs et jouer à chercher un hypothétique chemin le plus court.
 
Au milieu du cinquième jour, enfin le sommet! du moins ce qui aurait dû être un sommet. Un immense  et sombre plateau granitique ridé et sans relief s’ offrait devant moi; lisse comme une mer figée. J’ appelais de toute mes forces cet homme invisible, ma voix était ridicule face à cette immensité, et qui serait assez fou pour venir se cacher derrières une de ces minuscules vagues minérale. Je retenais en moi-même ce Vieil Homme aux Yeux Usés et ses conseils, je maudissait Kouschnick, Hollyskrouck le Chaman et Hamalgucknack, l’homme sage et même Glauglumka, l’ancien chef qui pouvait bien être à l’origine de tous mes maux!. Où pouvais-je bien me trouver? Au début de ma mésaventure, la nature, bien que différente avait l’avantage de présenter quelques similitudes avec ce que je connaissais, mais ici tout était minéral et inquiétant. Un étrange sentiment mêlé de désespoir et d’ optimisme m’ agitais. Étais-je entrain de délirer ou de sombrer dans la folie. Au fait, où se trouve le Sud! Même la logique quittait mon esprit. J’ étais en ce moment au bord de l’ évanouissement. Derrière moi, en contre bas de la falaise, des brumes moutonnantes dissimulaient à ma vue cette mer minérale, sans vie et dont on pouvait voir le fond,  aussi profond qu’il fut. Fond sans fore, sans faune, sans sédiments ou la vie a disparue à jamais. Une brêche s’ ouvrait de temps en temps , déchirant la chappe du ciel gris où l’étrange lumière rouge se précipitait, comme happée par un extracteur imaginaire; le spectacle durait à peine une minute et se renouvelait rarement.
 
Me suis-je endormis ou bien j’ ai rêvé tout éveillé une étrange sensation. Dans cette torpeur équatoriale et minérale, je sentais une brise d’ une fraîcheur à peine perceptible frôler mes épaules puis tout mon  hêtre, venant de la mer. Une voix venue de nulle part me renseignait en me disant que ce que je ressentait était le passage de l’ âme de ceux qui naissent et vont vers le Sud là où est la vie. Après une courte pose, la sensation d’ une brise noire et glaciale vint frapper mon autre épaule et me glacer le sang. La Voix me dit que c’ était l’ âme de ceux qui mourraient et qui se précipitent vers le Nord là où se trouve le royaume des Esprits. La Voix ajouta que les Esprits questionnaient les âmes et envoyaient les unes,  les Mauvaises, vers l’ Est où se trouvent les Enfers et les autres, les Bonnes, vers l’ Ouest où se trouve le Royame du Grand Esprit. Ces courants d ‘air me donnaient le tournis, j’ avais mal au crâne, mon dos et mes membres étaient moulus menus petit. Tout vacillait devant mes yeux qui refusaient de voir. Combien de temps dura ce cauchemar éveillé? Je n’en sais rien! Était-ce un rêve, une réalité?          C’ était plus sûrement un délire; il m’ étais impossible de faire la part des choses tant tout vacillait dans ma tête.
 
Je reprenais la marche quelques instant, puis, j’ ouvris mon sac pour y tirer une galette de poisson sèchée et boire une gougée de l’ eau restée étonnament fraîche dans l’outre de peau. Je contemplais cette lumière rouge qui se précipitait dans la brêche de la voûte grise de ciel bas, comme si un géant  au-delà s’ en nourrissait par gorgées.     L’ eau, en si petite quantité fut-elle, emplissait mon corp jusqu’aux doigts de pied et évacuait tout le mal vivre qui m’ angoissait. Enfin les idées claires, je considèrais les brumes moutonneuses de la mer restée derrière moi, donc au Nord, j’ en déduisais que je marchais toujours dans la bonne direction: le Sud, dans le sillon des âmes de ceux qui naissaient. Étrange logique!logique qui me fit frissonner à la pensée que je venais de naviguer et quitter Téthys et que désormais je marchais sur la Pangée primaire! Des milliards d ‘années me séparaient de mon lit douillet de Saint Martin! Un grand pas dans l’ absurdité venait d’être franchit et j’ étais le Choisi qui venait de le faire! Je n’ avais désormais qu’un souhait, retrouver Cherubinella et rester près d ‘elle au siècle qu’il plaira au Grand Esprit, mais surtout pas au mien, sinon j’ ai l’ assurance qu’on m’enfermera dans un asile.
 
Marcher, marcher, marcher toujours droit devant telle est mon obsession. Je calais mon horloge interne sur le someil lorsqu’il venait. Pas même le moindre petit caillou sur ce sol vitrifié, pas le moindre outil pour en extraire un fragment! Les galettes de poisson étaient trop molles pour faire une quelconque petite boulette, c’ est donc en tirant chaque fois un fil de ma veste que je notais le temps qui s’ écoule; il fallait bien que mon horloge biologique s’adapte et je crois qu’elle s’y est adaptée.
 
Comme mes pensées s’ embrouillaient souvent dans cette solitude sidérale, je me mit à penser que le magnétisme avait souvent changé depuis que le monde existe, et si je faisais fausse route? Une gorgée d’eau fraîche  me rappela le  fameux  Songe; j’ étais bien dans le sillage de ceux qui naissaient, c’ était bien la direction du Sud, peu importe que ce ne soit pas le Sud actuel! Du moment que c’ était le Sud de la planète! Sur cette platitude, rien ne pouvait me distraire de ma direction, même si le flottement des âmes ne se faisait plus sentir depuis ce jour. De toute façon je me suis fait à cette raison, mon voyage est sans retour. Je n’ aurais bientôt plus de vivres avant d’atteindre la plaine fertile et giboyeuse du Soulvègue!  Si Soulvègue il y a au-delà de ce desert de roche mère stérile!
 
L’ envie me prit de compter les fils retirés de ma veste, hélas, mille fois hélas, il n’ en restait que trois, j’ avais maladroitement perdu les autres.encore un repère qui foutait le camp! De mémoire, je pense en être à dix huit jours depuis mon débarquement. Une gestion rigoureuse de mes vivres fesait que je pourrais tenir encore une dizaine de jours. J’étais étonné qu’il reste encore de l’ eau.  Sans doute, j’ ai été chameau dans une vie antérieure!
 
Plus les jours passaient, plus l’ air devenait respirable, cette odeur de soufre et d’ acide avait disparue, la chaleur déclinait. Le ciel aussi avait changé, un peu d’ azure perçait entre la chappe grise de la voûte céleste et l’inquiétante lumière rouge devenait rosée. Sans transitions, le soir tomba enfin. C’était la première fois depuis longtemps qu’une nuit, une vrais nuit enfin recadrait le cycle salutaire de la vie. Lorsque le soleil se leva en ce nouveau jour, toujours au Sud, des nuages montaient dans le ciel lointain. Encore plusieurs jours, quatre ou cinq je crois, car j’ avais renoncé à compter avec les fils de ma veste, au beau milieu de la journée, j’ arrivais au bord d’ un précipice, une falaise de granit surplombait une immense étandue sablonneuse. Ça et là des touffes d’herbes émergeaient des dunes, une sorte de graminées inconnue, plus loin, les touffes semblaient de plus en plus rapprochées. Je longeais la falaise à la recherche d’ une brêche pour rejoindre le sable. Une silhouète noire grandissait entre les herbes. Un homme, enfin un humain! Il s’ approchait de la falaise de granit sombre, il était encore loin pour le dévisager et la falaise était très haute, une véritable muraille, comme celle du rivage de cette mer minérale.
 
J’ attendais que la personne s’ approcha du pied de la falaise, ce qui lui prit un certain temps car sa progression dans ce sable instable était laborieuse.  À ma vue, il se mit à s’agiter et me faire des signes, me montrant sur la gauche; j’y allais sans plus attendre. Une fissure étroite dans cette roche compacte descendait jusqu’ au sable blond. L’ homme avait rejoint l’ endroit lui aussi et faisait de la main signe de descendre. Pour moi la manœuvre était risquée. Après réflexion, je balancais le sac et m’ insèra dans la fissure, le dos contre une parois, les genoux et les mains contre l’ autre, bien en pression. Faisant frein de tous mes muscles, je me laissais glisser lentement, relâchant un genoux, puis une main alternativement.
 
Me voilà enfin sur le sable, face à un vieil homme, encore un! Décidément, il n’y a que des vieillards sur cette terre! Les autres sont sans doute à la guerre ou à la chasse!
 
---Je devine tes pensées, jeune homme, les hommes et les femmes en âge sont à la chasse et à la guerre, tu devines juste.
 
Stupéfait, j ‘ étais stupéfait, il lisait dans mes pensées!
 
---À la guerre?
 
---Oui, à la guerre, nous sommes en guerre depuis l’ éternité contre des monstres géants qui nous décimes! Et saccage notre reserve de gibier dans l’ immensité herbeuse du Soulvègue.
 
Le mot était lâché, le Soulvègue, le fameux Soulvègue du bœuf laineux et de la Sérénité! La guerre au pays de la Sérénité, me voilà bien avancé.
 
---Les Astres ont parlé il y a de cela bien longtemps, la poussière d ‘étoile à confirmé que toi, le « Choisi du Grand Esprit«  viendrais de nulle part mettre un terme à ces massacres de nos frères et pour te remercier, au nom du Grand Esprit, Athobaryfolens le chef spirituel du Soulvègue te remettra la Sérénité que tu rapporteras auprès de tiens restés au pays de l’Age Mûr.
 
J’ arrive donc du pays de l’ Age Mûr, au Nord donc, du côté où vont les âmes de ceux qui sont morts, vaste programme! Et elles croisent au passage l’âme de ceux qui viennent de naître!…logique!
 
---La phalange qui est au repos surveille nos villages, son chef t’expliquera tout ce que tu voudras savoir et il fera tout ce que tu lui ordonneras, pourvu que ce soit pour tuer tous les géants.
 
Toute cette avanture pour être promus Généralissime d’une armée en guerre contre des géants! Plus rien ne m’ étonne à présent.
 
 
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